9 décembre : Petits secrets entre chefs d’Etats
Vous voilà rendu presqu’à la moitié de votre calendrier de l’avent, it’s beginning to look a lot like christmas, et à travers les 8 cases ouvertes jusqu’à présent vous avez découvert que le droit international recèle de nombreux secrets. L’un d’entre eux, que nous souhaitons vous dévoiler pour ce 9e jour, réside en la technique des traités secrets.
“Tout traité ou engagement international conclu à l’avenir par un membre de la Société devra être immédiatement enregistré par le secrétariat et publié par lui aussitôt que possible. Aucun de ces traités ou engagements internationaux ne sera obligatoire avant d’avoir été enregistré.” (article 18 du Pacte de la Société des Nations)”.
Et pourtant, à l’échelle de la pratique du droit international, ces articles constituent l’exception et opèrent ainsi une évolution majeure du droit des traités.
En effet, au cours de nos recherches, nous avons pu retrouver des traces de la technique des accords secrets dès 1659. Le Traité de Paix des Pyrénées, conclu entre les couronnes d’Espagne et de France le 7 novembre 1659, renferme huit articles secrets relatifs aux relations entre les deux États. Après avoir précisé :
« Pour plus grande et plus particulière déclaration et intelligence de l’intention que les deux Seigneurs Roys Très-Chrestien et Catholique ont euë et ont sur l’exécution de quelques articles du Traité général de la paix, qui a esté signée ce jourd’huy, dont il sera fait mention cy après ; il a esté convenu et accordé entre les Plénipotentiaires des deux Seigneurs Roys en vertu de leurs pouvoirs de faire les articles secrets ensuivans, qui auront la mesme force et vertu, que ledit Traité général, et seront de la mesme manière ratifiez par leurs Majestez et au mesme temps que ledit Traité de Paix ».
Les articles secrets détaillent les conditions officieuses sous lesquelles la paix a été conclue. Est ainsi prévu l’engagement de n’apporter aucune aide militaire aux autres royaumes européens contre l’une ou l’autre des parties. Également, la restitution de territoires est organisée. Notamment, les articles secrets comportent des garanties pour assurer la bonne restitution des dits territoires : l’article 5 prévoit le mariage de l’Infante d’Espagne Marie-Thérèse avec Louis XIV. En outre, l’article détaille que la couronne de France « au mesme temps et jour, que ladite dame Infante luy sera remise sur la rivière Bidassoa » remettra deux otages aux mains de la couronne d’Espagne qui ne seront libérés que lorsque les territoires auront été restitués.
Le recours à la technique des articles secrets permet ici aux parties de conserver la discrétion sur les conditions réelles de la paix concédée
Les articles secrets vont se multiplier au sein des accords de paix. Cela permet de dissimuler des alliances militaires, par exemple le Traité de Tilsit entre la Russie et la France napoléonienne, signé le 7 juillet 1807 dont les articles secrets organisent l’alliance franco-russe contre l’Angleterre. Également, les articles secrets vont être utilisés pour redessiner les frontières territoriales et s’échanger la jouissance de territoires non autonomes, à l’abri des regards de ces derniers et des puissances rivales (par exemple, le Traité de paix de Paris, conclu le 30 mai 1814 entre la France et l’Autriche).
La technique des articles secrets a également été utilisée pour s’accorder sur une agression armée à l’encontre d’un État tiers. Ainsi, le traité sur la pacification de la Grèce (conclu entre la France, la Russie et le Royaume-Uni le 6 juillet 1827) comporte un article secret qui prévoit que les puissances contractantes « s’autorisent » à employer tous les moyens nécessaires à contraindre la Porte Ottomane, et le peuple grec, à la « pacification ».
Cette pratique va être largement décriée à l’issue de la Première Guerre mondiale comme un instrument de l’impérialisme des grandes puissances occidentales. Notamment, la publication par le gouvernement bolchevik de l’Accord Sykes-Picot, conclu en mai 1916 entre la France et le Royaume-Uni sur le partage de l’Empire Ottoman à l’issue de la guerre, va provoquer d’importantes contestations de la part des territoires concernés. Derrière le régime d’inopposabilité des accords secrets que mettent en place le Pacte de la SDN et la Charte des Nations Unies, c’est un droit international protecteur de l’égalité souveraineté des États et des peuples qui émerge. Il est cependant permis de considérer que l’interdiction d’une telle pratique a surtout abouti à une instrumentalisation d’un droit non-conventionnel, certes public, mais astucieusement habillé.
Caroline Chaux