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Le consentement du défendeur aux demandes reconventionnelles dans le contentieux international

Laura Prat soutenait avec succès son mémoire en juin dernier avant d’obtenir un financement pour réaliser une thèse dirigée par le Pr Carlo Santulli. Le mémoire, également dirigé par ce dernier dans le cadre du Master 2 de droit international public, propose une réflexion sur le consentement du défendeur dans le cadre des demandes reconventionnelles.

La demande reconventionnelle est un outil procédural consistant à inverser les rôles du demandeur et du défendeur, en permettant au second de demander au juge davantage que le simple rejet des prétentions du premier, à savoir la reconnaissance de son propre intérêt juridique au sein du litige. Il s’agit d’une demande incidente, elle dépend donc de l’existence de la demande principale, et est liée à celle-ci d’un point de vue tant procédural que substantiel: elle s’y oppose en tentant de la neutraliser, et en ce sens elle peut s’apparenter à une défense au fond. Mais cette opposition se transforme en véritable attaque lorsque l’on considère la prétention juridique nouvelle qui y est insérée. En effet, le demandeur initial se retrouve par ce jeu procédural dans une position défensive: il devient défendeur reconventionnel.

La demande reconventionnelle s’est développée de manière progressive comme un droit procédural international. Le modèle arbitral classique empêchait de concevoir l’existence de ce type de demandes. Dans la mesure où les parties engageaient une procédure conjointe sur la base d’un accord spécial délimitant l’objet du litige pouvant être considéré par le tribunal arbitral, l’élargissement de ce même objet qu’implique nécessairement l’introduction d’une demande reconventionnelle était inconcevable. Cependant, l’évolution du modèle de règlement des différends international a convergé vers une institutionnalisation suffisante pour considérer aujourd’hui la demande reconventionnelle comme un principe général de procédure internationale. La possibilité de présenter au cours du procès une demande reconventionnelle est néanmoins conditionnée à certaines exigences. Particulièrement, l’objet de la demande reconventionnelle ne doit pas être tel qu’il porte atteinte au principe du consensualisme qui gouverne et structure l’ensemble du contentieux international. Or, cette exigence de couverture consensuelle est encore largement ambivalente et controversée.

La question centrale du mémoire est donc celle de la nature du consentement aux demandes reconventionnelles: est-ce un consentement spécifique par rapport au consentement initial? Est-ce une condition de recevabilité à part entière par rapport à l’exigence d’établir un lien de connexité entre demande initiale et demande incidente, ainsi que la nécessité que le juge soit « compétent » pour en connaître ? Enfin, la compétence incidente en matière reconventionnelle a-t-elle (et doit-elle avoir) un fondement consensuel ?

Le consentement et la détermination de la capacité reconventionnelle

Dans une première partie, le mémoire étudie la dimension relationnelle de la demande reconventionnelle: celle-ci dépend de la nature des rapports procéduraux entre le demandeur et le défendeur. Son admission est conditionnée à l’exigence d’établir que celui qui introduit la demande a bien la capacité juridique de le faire. Cette capacité est déterminée par le consentement du défendeur, qui joue comme un curseur formel élargissant ou réduisant les possibilités procédurales de l’autre partie, notamment l’étendue de la capacité reconventionnelle. Cette partie dresse donc une typologie de ce que l’on a proposé d’appeler les titres de compétence reconventionnelle. Il s’agit de comprendre comment, dans le contentieux inter-étatique, la base consensuelle établie au principal (compromis, clause compromissoire, acceptation facultative de juridiction obligatoire, forum prorogatum) influe sur l’étendue de la capacité reconventionnelle du défendeur initial (demandeur reconventionnel).

Il est réservé ici une place spécifique au contentieux transnational. Malgré la reconnaissance de l’outil reconventionnel dans le contentieux de l’investissement, les titres de compétence reconventionnelle sont plus difficiles à établir. En effet, l’investisseur n’a pas lui-même conclu le traité bilatéral d’investissements, et il n’a pas consenti directement aux règlements prévoyant la capacité reconventionnelle du défendeur. Si la capacité reconventionnelle dans le cas d’un arbitrage basé sur une clause compromissoire transnationale ne pose pas de problème, c’est dans le cadre de l’arbitrage sans lien direct (arbitration without privity ou arbitrage unilatéral) que les choses se complexifient. En effet, dans ce cas les consentements sont donnés de manière dissociée, phénomène analysé selon la théorie de l’offre et de l’acceptation: l’offre de contracter par l’Etat est fondée soit sur un traité international, soit sur la loi interne, et l’acceptation par l’investisseur étranger est déduite de l’introduction d’instance. En introduisant l’instance, l’investisseur peut-il choisir d’activer certaines des clauses disponibles à son profit et refuser de consentir à l’activation d’autres clauses qui lui seraient défavorables? Une certaine partie de la doctrine considère que, pour déterminer la capacité reconventionnelle de l’Etat, il faut se concentrer sur les termes employés par l’investisseur lorsqu’il a consenti et donc retenir le plus petit dénominateur commun possible des consentements. Selon cette acception, le consentement de l’investisseur pourrait, en fonction des termes employés, moduler l’offre de contracter. Néanmoins, une autre partie de la doctrine considère que l’investisseur ne devrait pas pouvoir choisir dans l’offre de contracter ce qui l’arrange et écarter ce qui le désavantage. Afin de prendre position sur cette question, une analyse du champ consensuel de l’objet reconventionnel est nécessaire.

Le consentement et la délimitation de l’objet reconventionnel

L’admission d’une demande reconventionnelle est intimement liée à son contenu. Chaque demande fait en tant que telle l’objet d’une analyse afin de savoir si le défendeur a non seulement consenti à la possibilité d’introduire des demandes reconventionnelles, mais également à la possibilité d’introduire la demande reconventionnelle de l’espèce. L’admission de la demande reconventionnelle est ainsi déterminée en rapport à l’objet reconventionnel, qui ne doit pas dépasser le consentement des parties, mais plus encore, doit l’exprimer. L’analyse transversale des raisonnements des différentes juridictions invite à conclure que le consentement en tant qu’exigence n’a pas d’existence propre, mais est plutôt disséminé dans l’établissement du lien de connexité ainsi que de la compétence ratione materiae. Or, cette indétermination a mené une partie de la doctrine à conclure que la compétence incidente en contentieux inter-étatique était une compétence obligatoire. En contentieux transnational, c’est le mouvement inverse qui est visible dans une grande majorité de la doctrine: celle-ci invite à interpréter l’exigence de consentement de la manière la plus stricte possible, cherchant le plus petit dénominateur commun des consentements donnés, afin d’éviter que les demandes reconventionnelles ne s’imposent aux investisseurs.

La thèse défendue dans ce mémoire est celle de la couverture consensuelle indirecte de l’objet reconventionnel. Le droit international prévoit les conditions d’expression du consentement et attache à certaines pratiques des effets juridiques, si bien que l’existence d’un consentement ne dépend pas du caractère psychologique de celui-ci mais du cadre légal prévoyant ses manifestations. Ainsi, l’admission d’une demande reconventionnelle n’est pas soumise à l’existence d’un consentement ad hoc des parties, mais le titre de compétence reconventionnelle se déduit du champ consensuel admissible pour chaque espèce. Le caractère indirect de ce consentement a néanmoins des portées différentes en fonction des contentieux. Dans le cas du contentieux international, elle fait œuvre descriptive en défendant la couverture consensuelle de la compétence incidente face aux arguments soutenant le caractère obligatoire de la juridiction reconventionnelle. Pour ce qui est du contentieux transnational, elle se veut prescriptive en appelant à considérer l’exigence de consentement du défendeur d’une manière plus souple (le consentement de l’investisseur serait déduit de manière indirecte du simple fait que cette possibilité est prévue par les règles procédurales et non des termes spécifiques de l’engagement juridictionnel). Cette thèse s’explique par l’idée selon laquelle en matière transnationale, les Etats « disposent » du consentement des personnes privées, en organisant par les traités bilatéraux et multilatéraux les modalités et les conditions des manifestations de volonté du sujet interne (v. C. Santulli, Introduction au droit international, Pedone, 2013, p. 47). Il s’agit donc de défendre l’automaticité du consentement de l’investisseur défendeur aux demandes reconventionnelles étatiques.

Laura Prat

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