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L’enfermement des demandeurs d’asile dans les camps et le droit international

Le mémoire d’Emilie Lefebvre a été dirigé par monsieur Eric Wyler pendant l’année universitaire 2019-2020.

L’enfermement des demandeurs d’asile dans les camps n’est pas une question classique de droit international public. Pourtant, le phénomène interroge différents aspects de droit international, en faisant un objet d’étude intéressant. Si l’asile a une dimension interne indéniable dès lors qu’il est fondamentalement lié à la souveraineté territoriale des États, le droit international n’est pas indifférent à la question. En effet, l’asile a acquis depuis le milieu du XXe siècle une dimension externe à travers sa consécration dans différentes sources de droit régional et international, et fait aujourd’hui l’objet d’une coopération régionale, voire internationale, entre les différents sujets du droit international. Par ailleurs, le camp n’est pas une notion juridique mais il connaît une importance croissante dans le domaine des migrations internationales et mérite, dès lors, de faire l’objet d’une étude sous l’angle juridique. L’étude s’est concentrée sur les camps « officiels » ou « formels », correspondant aux centres d’accueil, d’attente, d’identification, d’enregistrement, d’orientation, de filtrage ou de protection provisoire, par opposition aux « campements » ou « camps informels » ne faisant pas l’objet d’une autorisation par l’État territorial. Centrer les recherches sur la figure du demandeur d’asile permet non seulement de circonscrire l’étude aux seuls camps ayant émergé dans le cadre de l’asile, mais aussi de comprendre ce que l’existence des camps pour demandeurs d’asile dit de l’effectivité du système de protection internationale de l’asile. À travers l’analyse du droit international positif applicable en la matière, de la construction et des difficultés d’application contemporaines du droit international issu de la coopération interétatique et de la coopération entre États et organisations internationales, l’origine et les fonctions des camps accueillant des demandeurs d’asile peuvent être déduites.

L’identification d’un double lien de causalité entre l’enfermement des demandeurs d’asile dans les camps et le droit international permet de structurer l’étude. Si le droit international peut être à l’origine du placement, voire de l’enfermement, des demandeurs d’asile dans les camps, il peut aussi faire l’objet de potentielles violations par le phénomène d’enfermement des demandeurs d’asile dans les camps, et alors se retrouver en aval de la chaîne de causalité.

En premier lieu, le placement des demandeurs d’asile dans les camps peut être le résultat du droit international positif applicable en la matière. En effet, une partie des camps sont administrés par des organisations internationales, et en particulier par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), pour pallier l’absence de droit d’asile dans certains États. Dans l’ordre juridique international, le droit d’asile stricto-sensu, entendu comme le droit de demander asile (et non d’obtenir l’asile), peut ne pas être une obligation internationale pour les États. N’ayant pas de valeur coutumière, il est tributaire d’un engagement conventionnel de la part de l’État qui entend le garantir aux étrangers. Or, certains États, comme le Liban ou la Jordanie, n’ont ratifié ni la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, ni aucune autre convention contenant un droit d’asile. Autrement dit, ils ne se sont pas engagés sur le plan international à garantir un droit de demander asile aux individus non-nationaux en quête d’une protection contre des persécutions personnelles. Les camps administrés par le HCR assument alors la fonction de palliatif et ont pour but d’assurer une protection subsidiaire, avant la mise en œuvre d’une solution plus durable.

Par ailleurs, les instruments de droit international récents, issus d’une coopération internationale relative à la gestion des flux migratoires, entraînent également la création de véritables centres fermés susceptibles de restreindre la liberté de mouvement des demandeurs d’asile. Ces accords bilatéraux, traités tripartites et régionaux servent d’instruments pour la mise en œuvre de politiques publiques de relocalisation (réinstallation, rapatriement volontaire, répartition de la charge de l’examen des demandes d’asile et de l’accueil) et d’externalisation des contrôles migratoires. Leur conclusion et leur application entraînent la création de camps, leur confèrent de nouvelles fonctions et renforcent leur pérennité. Les camps concernés se situent dans des États qui, cette fois, se sont engagés à garantir un droit d’asile sur le plan international. A titre d’exemple, l’accord tripartite entre le HCR, le Kenya et la Somalie de 2017 peut être cité, même s’il ne concerne, a priori, pas les demandeurs d’asile puisqu’il encadre le retour dans leur État d’origine des Somaliens résidant dans le camp de Dadaab au Kenya. Les exemples des accords d’externalisation passés entre l’Australie et certaines îles du Pacifique, des accords entre l’Union européenne et des États tiers, mais aussi du droit interne de l’Union européenne en matière migratoire, avec l’approche des hotspots, sont intéressants à étudier en ce sens. La fonction de ces camps devient alors moins protectrice que sécuritaire. Les camps servent en effet de sas d’entrée sur le territoire de destination, et ont un rôle d’outils à la mise en œuvre d’accords internationaux. Justifié par une lutte contre le terrorisme et contre le trafic illicite de migrants, le renforcement des contrôles migratoires, tout comme l’externalisation de ceux-ci, entraînent une coopération internationale féconde d’actes dont la nature juridique est parfois incertaine. Pourtant, ces accords ont un impact fort sur le traitement et l’accueil des demandeurs d’asile ainsi que sur l’existence et les fonctions des camps. Ceux-ci peuvent donc être le résultat d’une coopération politique et juridique conjoncturelle. L’enfermement des demandeurs d’asile est donc à plusieurs égards le résultat du droit international positif en la matière.

Dans un second temps, il convient de relever l’existence de garanties de protection des demandeurs d’asile que le droit international peut offrir. L’enfermement des demandeurs d’asile dans les camps constitue ainsi parfois une source de violations potentielles du droit international, notamment dans ses branches dédiées aux droits de l’homme et aux réfugiés. L’indifférence du critère de la nationalité en droit international des droits de l’homme s’avère particulièrement précieuse lorsqu’il est question de demandeur d’asile puisque ce dernier revendique dans sa demande même de protection au titre de l’asile un défaut de protection, voire des persécutions à son encontre, de la part de son État de nationalité. Dresser un panorama du cadre légal applicable en la matière et faire un état des lieux de la pratique permettent de soulever des questions de licéité relatives aux restrictions de liberté stricto-sensu ou, plus généralement, aux conditions de celles-ci, du respect des droits fondamentaux, de l’accès aux procédures d’asile, du respect du principe de non-refoulement, voire de l’interdiction d’expulsion collective pouvant constituer une conséquence indirecte de la saturation d’un camp. Néanmoins, plusieurs éléments juridiques constituent des obstacles à l’engagement de la responsabilité internationale : la question de l’imputabilité du fait internationalement illicite dès lors que les sujets intervenant dans les camps sont multiples (États, organisations internationales, organisations non gouvernementales notamment), l’existence de circonstances excluant l’illicéité, ou encore, la difficulté liée à trouver une juridiction compétente et accessible sur la question précise de l’enfermement des demandeurs d’asile dans les camps. Finalement, le fait que les camps ne soient pas pourvus d’un véritable encadrement légal limite la responsabilité des acteurs y opérant, la faible quantité de jurisprudence en la matière en témoigne. Les systèmes régionaux semblent à cet égard être les plus pertinents actuellement, même s’ils présentent certaines limites importantes. Le développement croissant du soft law dans le domaine des migrations peut également être perçu comme une preuve supplémentaire de l’inadéquation du droit international positif avec les migrations internationales contemporaines.

L’étude des camps où sont placés les demandeurs d’asile a été l’occasion d’interroger l’effectivité du système de protection internationale de l’asile et son organisation mondiale, mais le principal intérêt du mémoire a résidé véritablement dans la volonté d’appréhender le camp sous un prisme juridique rigoureux, détaché de tout militantisme. La circonscription stricte du sujet de mémoire aux camps ayant un lien avec les demandeurs d’asile a réduit le champ de recherche. Le doctorat permettra de poursuivre les recherches tout en les élargissant cette fois à la notion de « camp » dans son entièreté, afin d’en faire l’objet central d’une étude de droit international public.

Emilie Lefebvre

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