21 décembre – La politique immobilière des Etats-Unis
Chers lecteurs avertis,
Il n’est évidemment pas question ici de savoir comment les Etats-Unis comptent développer un certain pourcentage de HLM dans leurs communes ou s’ils ont, eux aussi, différencié entre le propriétaire du bien et ses occupants, comme l’a fait la France en 2007. Il est davantage à propos de s’intéresser à l’un des principaux moyens de constitution de l’Etat le plus puissant au Monde.
Vous connaissez tous ici les moyens classiques d’acquisition de territoires par les Etats : la terra nullius, l’occupation, la prescription acquisitive ou encore la conquête. Tant de moyens divers et variés qui ont permis aux Etats de s’étendre et acquérir la dimension qu’ils ont aujourd’hui. Un petit problème se pose néanmoins actuellement pour les Etats qui souhaiteraient s’étendre : les terra nullius sont quasi inexistantes (sauf pour cette magnifique région désertée de Bir Tawil, voir la case 7 du calendrier) et les autres moyens se confrontent aujourd’hui aux articles 2§4 et 2§7 de la Charte des Nations-Unies qui proscrivent le recours à la force contre l’intégrité territoriale des Etats et de s’ingérer dans les affaires internes de ceux-ci.
Dès lors, comment faire pour venir augmenter son espace dans une société internationale où les Etats sont à cheval pour préserver leurs intérêts et leur territoire ? Hé bien rien de tel que s’entendre avec son semblable. Des exemples ressortent de la pratique récente des Etats en la matière : la Turquie a sa Chypre et la Russie a sa Crimée après des négociations menées de longue date avec leurs voisins. Si moult oppositions se sont dégagées de ces affaires quant à une supposée pression exercée aux fins de l’acquisition du titre territorial (on ne juge pas, on ne fait que relater des assertions), d’autres cas ne souffrent d’aucune contestation possible. Pour cause, ces transferts de souveraineté se sont matérialisés en échange d’espèces sonnantes et trébuchantes. Subtil moyen de faire valoir ses intérêts, vous en conviendrez. Cette possibilité découle de la théorie du « territoire-objet », théorie romaine considérant le territoire « comme la propriété d’un Etat et l’objet de son pouvoir et de l’exercice de sa souveraineté (Michaël J. Strauss, «La vente et la location de territoire, une solution ?» in G. Giraudeau (dir.), Les enjeux territoriaux du Pacifique, PUNC, à paraître en 2020).
Les rois dans ce domaine ? Les Etats-Unis. Qui d’autre qu’eux en même temps ? En un peu plus de deux siècles d’existence, ils ont conclu pas moins de sept traités portant sur la cession à titre onéreux de territoires. C’est ainsi que la Louisiane en 1803, la Floride en 1845, l’Alaska en 1867, les îles Vierges en 1917 ou encore les Philippines en 1898 sont devenues des territoires états-uniens pour une poignée de dollars au cours du XXème siècle. Mais il ne faut pas croire que cette possibilité s’est éteinte. Pour quelques dollars de plus ils espéraient encore le Groenland. Ainsi, en 2019, ce réificateur de territoire qu’est le président Donald Trump en qualifiant le projet de rachat de « grosse transaction immobilère », annonçait sa volonté de racheter le Groenland au Danemark, montrant bien la conception américaine du territoire-objet. Il est néanmoins à noter que ce n’est pas notre magnat de l’immobilier préféré qui est à l’origine de l’idée, puisque son prédécesseur Harry Truman avait déjà proposé 100 millions de dollars pour conclure l’affaire en 1946. Une proposition balayée du revers de la main par le pays baltique à l’époque, tout comme il y a un an maintenant.
Il faut comprendre que tout cela n’a rien d’illicite. Comme le soutient le professeur Niki Aloupi, dans une interview donnée au journal Libération, « l’intégrité territoriale n’est guère violée puisque l’Etat dont le territoire est amputé a préalablement donné son consentement audit transfert. Donc avec l’accord du Danemark – et uniquement à cette condition – l’opération serait parfaitement conforme au droit international » (Luc Peillon, « Un pays peut-il en acheter un autre, ou même une partie ? », Libération, 2019). Bien sûr, l’obstacle du droit interne se dresse encore puisque des procédures doivent être suivies. C’est ainsi que la Constitution française par exemple, dispose à son article 53 que « nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le consentement des populations intéressées ». Et c’est certainement là la raison majeure de la désuétude d’une telle technique d’acquisition des territoires.
Mais pas de soucis pour le pays aux 50 Etats. Plutôt qu’acheter, pourquoi ne pas louer ? L’Etat de l’Oncle Sam a trouvé la parade en concluant des contrats de bail avec de nombreux autres Etats, notamment pour l’implantation de ses bases militaires. L’on n’en trouve pas moins de 800 déclarées dans 177 pays (Céline Deluzarche, « Les bases de l’armée US dans le Monde vues du ciel », Ouest-France 2017). La location d’un petit lopin de terre sur l’île de Cuba pour y installer un lieu de vacances prolongées rentre aussi dans ce cadre. Quand on vous dit que ce n’est que de l’immobilier…
Yanis Dekkiche