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10 Décembre – L’Ethiopie face à la Société des Nations

L’importance de la Société des Nations (SdN) ne cesse d’être reléguée au second plan au profit d’une étude plus enthousiaste de sa petite sœur, l’Organisation des Nations Unies. Que ce soit au lycée ou sur les bancs des facultés, on ne s’intéresse à la Société que pour pointer du doigt ses échecs, sans véritablement s’intéresser à son héritage. Le Professeur Kolb a pourtant raison de remarquer, dans son Commentaire sur le Pacte de la SdN (2015, éditions Bruylant, pp. 3-4), que cette organisation internationale a été « le terrain préparatoire incontournable pour les Nations Unies ». Que ces quelques lignes permettent de lui rendre hommage en insistant sur la façon dont l’Organisation des Nations Unies s’est construite à partir de l’échec de la Société à empêcher l’invasion de l’Ethiopie par l’Italie en 1936.

Tout commence en 1889 lorsque Menelik II, alors simple prince d’une région de l’Ethiopie, se déclare Roi des Rois après avoir établi sa descendance avec le Roi Solomon (sur l’importance de cette descendance, voyez ici). Véritable Roi Arthur de la légende du Graal, l’Empereur apporte l’unité territoriale à une région longtemps éprise par les guerres de clans. Pour se faire, il constitue une armée devant tenir tête à l’agression italienne, lacée depuis sa colonie érythréenne en 1885.

Le 1er mars 1896, les forces éthiopiennes résistent à l’Italie lors de la bataille d’Adoua et mettent définitivement fin au conflit. Profitant du choc que représente une telle nouvelle sur les puissances européennes, qui n’avaient jamais perdu de guerre sur le continent africain auparavant, Ménélik II conclut un Traité de Paix le 26 octobre 1896 dans lequel « l’indépendance absolue et sans réserve de l’Empire éthiopien comme Etat souverain et indépendant » est reconnue (engagement réaffirmé dans le Traité d’amitié, de conciliation et d’arbitrage du 2 août 1928). S’ensuivent divers traités bilatéraux de délimitation des frontières entre l’Erythrée (possession italienne) et l’Ethiopie.

Depuis les altercations du mois de décembre 1934 dans la région du Oual-Oual, les relations italo-éthiopiennes s’enveniment. En contradiction avec ses engagements internationaux, Mussolini décide finalement d’envahir l’Ethiopie le 2 octobre 1935. Le Conseil va alors établir le 5 octobre 1935 un comité chargé « d’étudier la situation et de lui faire rapport pour lui permettre de prendre les décisions en toute connaissance de cause ». Le rapport constate que l’Italie a rompu le Pacte, et qu’elle doit être qualifiée d’agresseur (voyez l’excellent article de Charles Rousseau à la RGDIP sur le sujet).

En vertu de l’article 16 du Pacte, dès qu’un Etat membre rompt celui-ci, les autres membres s’engagent « à rompre immédiatement avec lui toutes relations commerciales ou financières » ainsi qu’à fournir « les effectifs militaires, aériens ou navals (…) nécessaires pour faire respecter les engagements de la Société ». En l’absence de réaction des Etats membres, et face à l’impossibilité pour le Conseil de forcer la mise en œuvre dudit article, c’est tout le système de sécurité collective de la SdN qui s’effondre en 1935.

Alors que la guerre fait rage, l’Empereur Haïlé Selassié I prononce un discours historique devant l’Assemblée générale le 30 juin 1936. L’enjeu que représente l’absence de réaction des Membres face à l’agression italienne, juridiquement constatée, est clairement identifié : « J’affirme que le problème aujourd’hui soumis à l’Assemblée est beaucoup plus large. Ce n’est pas seulement le règlement de l’agression italienne : c’est la sécurité collective ; c’est l’existence même de la Société des Nations ; c’est la confiance que chaque Etat doit accorder aux traités internationaux ; c’est la valeur des promesses faites aux petits Etats de respecter et de faire respecter leur intégrité et leur indépendance ; c’est le principe de l’égalité des Etats (…) ». Il ajoute enfin : « Les signatures apposées au bas d’un traité ne valent-elles que dans la mesure où les Puissances signataires y ont un intérêt personnel, direct et immédiat ? ».

En ne conférant pas un pouvoir d’exécution des obligations du Pacte au Conseil, la Société a laissé le respect de ces obligations dépendre de la volonté souveraine des Etats Membres. Une telle interprétation, déjà rencontrée lors des différends sino-japonais en Mandchourie et bolivo-paraguayen dans le Chaco, n’a eu d’autres conséquences que de transformer le système de sécurité collective en système de sécurité individuelle.

C’est justement cette difficulté que les rédacteurs de la Charte des Nations Unies ont cherché à pallier lorsque ceux-ci ont interdit le recours à la force à l’article 2(4) et ont confié au Conseil la responsabilité principale de maintenir la paix et la sécurité internationales (Chapitre VII). Il n’est pas étonnant d’apprendre le retour de Haïlé Selassié devant l’Assemblée générale des Nations Unies le 6 octobre 1963 afin de rappeler les fantômes du passé : « La Charte exprime les plus nobles aspirations de l’homme : la renonciation à la force (…). Mais tout cela, comme l’étaient les termes du Pacte, ne sont que des mots : leur valeur dépend entièrement de notre volonté de les observer, les respecter et de leur donner contenu et sens ».

Si la qualification de menace à la paix et à la sécurité internationales entraîne des conséquences juridiques auxquels les membres ne sauraient résister comme à l’époque de la SdN, il demeure que le caractère politique de l’organe qui procède – de façon purement discrétionnaire – à cette qualification impose de ne pas oublier ce discours de l’Empereur éthiopien.

Avant de nous quitter, les plus curieux peuvent finir leur pause-récré avec les images d’archives du la venue de l’Empereur à la Société en 1936 et qui offrent une incarnation bienvenue à cette courte note (à partir de 2min08).

Jean-Baptiste Dudant

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