🇫🇷 Space Force : « Boots on the Moon! »… et le droit international dans tout ça ?
« La voie ayant été ouverte par Clémence et sa note relative à l’annonce d’une armée française de l’air et de l’espace, qu’il me soit permis d’ajouter une perspective états-unienne au sujet avec la série de Steve Carell et Greg Daniels : Space Force . Sortie le 29 mai 2020, celle-ci se propose de traiter, avec humour, la réalité du projet annoncé par le Président Donald Trump en juin 2018 (https://www.youtube.com/watch?v=Kna3YYX7XeE&ab_channel=AssociatedPress).
Le héros de la série incarné par Steve Carell, le Général Naird, se voit promu à la tête de la nouvelle armée spatiale des Etats-Unis avec l’objectif affiché de la déployer sur la Lune d’ici 2024. Bref, de vastes projets que le Président fictif synthétise en une phrase « trumpienne », peu reluisante pour l’internationaliste familiarisé avec le droit de l’espace : Boots on the moon!
Le point fort de la série est de mettre en scène les obstacles juridiques que les Etats-Unis devraient surmonter dans le cas où la Space Force était effectivement déployée sur la Lune. L’article premier du Traité sur l’espace de 1967 stipule que seules les « recherches scientifiques sont libres (…) » ? Qu’à cela ne tienne ! Le Général Naird, accompagné du Docteur Adrian Mallory (interprété par John Malkovich), établissent que l’unité sera constituée de soldats… officiellement désarmés et servant une expédition scientifique.
Une telle position, bien qu’en apparence compatible avec la finalitĂ© pacifique de l’utilisation de la Lune et de l’article 3(4) du TraitĂ© de 1979 y relatif, est rapidement remise en question après la survenance d’un diffĂ©rend entre les Etats-Unis et les scientifiques chinois qui y ont dĂ©jĂ Ă©tabli leur base. C’est sur ce dixième Ă©pisode qu’il convient de s’attarder quelques minutes.
La finalité pacifique de l’utilisation de la Lune et la Space Force
Peu de temps après leur établissement sur la Lune, les Etats-Unis entrent (déjà !) en conflit avec leurs voisins chinois. Seulement voilà , l’attaque réalisée par la Chine n’en est pas véritablement une au sens du jus ad bellum : loin de l’agression armée permettant l’exercice du droit de légitime défense conformément à l’article 51 de la Charte, les scientifiques chinois se filment en train de rouler sur le drapeau états-unien planté par Neil Armstrong le 20 juillet 1969. Un petit grief pour l’humanité, mais un grand choc pour les Etats-Unis, le Secrétaire d’Etat à la défense organise une réunion avec l’ensemble des Chefs d’Etats Major afin de déterminer une « réaction proportionnée ».
Se déroule alors sous nos yeux un échange mêlant avec brio humour et droit :
La première chose qu’il faut remarquer est la hâte avec laquelle les protagonistes se tournent vers le droit pour condamner le piĂ©tinement du drapeau Ă©tats-unien. Après avoir mis en scène le sport national Ă©tats-unien – c’est-Ă -dire la recherche des moyens permettant l’application extraterritoriale du droit fĂ©dĂ©ral – on peut voir les protagonistes envisager le recours Ă la force de toutes les manières possibles : bombardement, invasion de la Chine ou encore recours Ă l’arme nuclĂ©aire. Et ce, alors mĂŞme que l’interdiction de recourir Ă ces armes est clairement admise : « All those weapons we’re not allowed to use! ». Enfin, la question de l’imputabilitĂ© des actes Ă la RĂ©publique chinoise est Ă©ludĂ©e, mĂŞme s’il est vrai que l’article VI du TraitĂ© de l’Espace stipule que les « États parties au TraitĂ© ont la responsabilitĂ© internationale des activitĂ©s nationales dans l’espace extra-atmosphĂ©rique, y compris la Lune et les autres corps cĂ©lestes, qu’elles soient entreprises par des organismes gouvernementaux ou par des entitĂ©s non gouvernementales, et de veiller Ă ce que les activitĂ©s nationales soient poursuivies conformĂ©ment aux dispositions Ă©noncĂ©es dans le prĂ©sent TraitĂ© »
Le Général Naird rappelle à l’ordre ses collègues en faisant explicitement référence au Traité de l’espace de 1967 : « Look, this happened in space, so the response must be in space as well. (…) We signed an international Outer Space Treaty. Any sort of violence, and we break that treaty » (https://www.youtube.com/watch?v=ocDf29Vbmdk&ab_channel=Cin%C3%A9maDroitinternational).
Le deuxième alinéa de l’Article IV stipule en effet que « [t]ous les Etats parties au Traité utiliseront la Lune et les autres corps célestes exclusivement à des fins pacifiques ». L’Accord sur la Lune de 1979 est à cet égard plus précis. Les Etats parties ont formulé, dans le préambule, leur désir à ce que ce corps céleste ne serve pas « d’arène à des conflits internationaux ». Son article 3(1) rappelle la finalité pacifique susmentionnée, et le deuxième alinéa réaffirme l’interdiction de « tout recours à la menace ou à l’emploi de la force ou à tout acte d’hostilité ou menace d’hostilité sur la Lune » (nous soulignons). Chose intéressante, l’interdiction de l’article 3(2) est beaucoup plus large que celle du recours à la force de l’article 2(4) de la Charte, qui était déjà elle-même plus large que l’interdiction (partielle) du recours à la guerre dans le Pacte de la Société des Nations.
Puisque l’Accord de 1979 interdit effectivement tout acte d’hostilité, il est possible d’envisager l’illicéité de tout acte inamical et non pas seulement ceux constituant un recours à la force. En l’espèce, le piétinement du drapeau par les scientifiques chinois pourrait donc donner lieu à une violation de l’article 3(2) sans pour autant emporter violation de l’article 2(4) de la Charte des Nations Unies. Il serait alors possible d’adopter des contre-mesures, dont l’article 51 du Projet d’articles sur la responsabilité internationale des Etats de 2001 exige effectivement qu’elles soient proportionnelles.
N’ayant Ă©tĂ© signĂ© ni par les Etats-Unis ni par la Chine, il est difficile d’opposer les stipulations de l’Accord de 1979 Ă ces puissances, sauf Ă considĂ©rer qu’il codifie des règles coutumières. Difficile pour l’heure d’en voir la codification, ni mĂŞme la cristallisation d’une coutume avec seulement 18 Etats parties. Ces derniers ne possĂ©dant d’ailleurs mĂŞme pas les moyens techniques suffisant pour explorer l’espace.
En tout état de cause, les Etats-Unis et la Chine ont reconnu la finalité pacifique de l’utilisation et de l’exploitation de la Lune en acceptant d’être parties au Traité de 1967 (respectivement en 1967 et 1984). Finalité qui se conjugue mal avec la « réponse proportionnée » que les protagonistes de Space Force proposent.
L’on pourrait défendre, par une interprétation extensive de l’article IV du traité de l’espace, que le principe d’utilisation pacifique interdit « tout acte d’hostilité » sur la Lune (dans le même sens que l’Accord de 1979). Le Général Naird pourrait alors adopter des contre-mesures à l’encontre des autorités chinoises en réponse au piétinement du drapeau. Outre la condition de proportionnalité rappelée plus haut, d’autres conditions devraient être respectées au titre de l’Article 52 du Projet d’articles de 2001. Il faudrait, par exemple, offrir de négocier de bonne foi avec la République chinoise en amont de l’adoption desdites contre-mesures, ce qui n’est pas envisagé en l’espèce.
Finalement, sous l’insistance du Président, la solution adoptée est celle de détruire la base scientifique chinoise tout en prévoyant de ne pas blesser ses membres et de les accueillir en tant que réfugiés sur la base états-unienne. Quelle que soit l’intention de se situer sous le seuil de gravité permettant de qualifier un recours à la force, il s’avère en l’espèce que l’acte de destruction de la base scientifique constitue une violation de l’article 2(4) de la Charte manifestement contraire au principe de finalité pacifique ainsi qu’aux conditions de mise en œuvre des contre-mesures (notamment l’article 50(1)(a)).
En cherchant à coller avec la réalité jusqu’au point de s’interroger sur la faisabilité du programme spatial à l’aune du droit international, la série mérite d’être visionnée. Elle permet de mettre en scène des discussions qui ne manqueront pas de survenir le jour où ces ambitions expansionnistes seront sur le point de se réaliser. Que l’extrait d’un échange verbal entre deux scientifiques états-uniens et chinois soit cité comme conclusion : le premier rappelle au second l’impossibilité de s’approprier la Mer de la Tranquilité en vertu de l’article II du Traité de 1967. La réponse, tant elle renvoie à la position états-unienne mentionnée en introduction, mérite d’être citée : « not a claim ! We simply occupy an area of scientific study. We study lunar temperature, and you landing to the crater will change the temperature. Go see other craters. Thank you. Stay away. Thank you ». L’arroseur arrosé, dites-vous ?
Par Jean-Baptiste Dudant