Etude de cas sur l’intervention armée sollicitée dans le cadre des conflits armés non internationaux
Le mémoire de Fanta Dembélé, relatif aux cas iraquiens, maliens, syriens et yéménites d’interventions sollicitées, a été dirigé par le Professeur Santulli pendant l’année universitaire 2019-2020.
Lorsqu’un Etat, sur le territoire duquel existe un conflit armé, requiert l’aide militaire d’un pair, il fait appel à un principe connu du droit international public : celui de l’intervention sollicitée ou intervention par invitation. Son application, dans le contexte particulier d’un conflit armé non international (CANI) est une caractéristique essentielle de la manière dont ledit principe va être appréhendé autant par les Etats requérant l’intervention que par les Etats requis pour l’effectuer. C’est ce qui ressort de l’analyse de quatre situations contemporaines de CANI s’étant déroulées sur les territoires iraqien, malien, syrien et yéménite. Ici, c’est une approche comparative qui a été suivie à travers l’étude de ces quatre conflits. Plus précisément, ce sont moins les faits objectifs des interventions militaires qui ont été l’objet de notre analyse que le discours des Etats intervenants (principalement) sur ces faits. C’est donc d’abord sous le prisme de l’Etat requis qu’a été envisagé le principe de l’intervention sollicitée.
Parce qu’elle est effectuée dans un conflit interne caractérisé par l’opposition d’un belligérant étatique à un ou plusieurs belligérants de nature non-étatiques, les Etats intervenants se sont confrontés à la difficulté de se limiter strictement à l’invocation du consentement de l’Etat requérant comme preuve de la validité de leur intervention : le fait, propre aux CANI, que l’autorité du gouvernement requérant l’aide militaire soit contestée au plan interne emporte nécessairement fragilisation de sa sollicitation. Concrètement, pour être valide, un consentement doit réunir plusieurs critères parmi lesquels figure le fait d’émaner de l’autorité légale représentative de l’Etat dans les relations internationales. Dans les espèces étudiées pourtant, le statut représentatif du gouvernement étant fortement ébranlé, les Etats requis ont craint que ne leur soit opposé la perte de légitimité dudit gouvernement[1]. La pratique a néanmoins démontré l’omniprésence de la doctrine de la préférence gouvernementale grâce à laquelle le gouvernement établi bénéficie en réalité d’une présomption d’effectivité même dans un contexte de déstabilisation interne.
Malgré l’existence de cette présomption, et parce qu’elle est réfragable, les Etats requis ont privilégié l’invocation de multiples fondements juridiques, en plus du consentement de l’Etat territorial. Les conflits malien et yéménite sont des exemples notables de cette pratique : en l’espèce, la France et les Pays du Golfe se sont respectivement servis de la sollicitation du Mali et du Yémen afin d’intervenir sur leur territoire au nom de la légitime défense collective. Ici, ce n’est pas tant l’agression armée dont ils auraient été personnellement victimes qui est avancée comme élément déclencheur de l’article 51 de la Charte des Nations-Unis, mais l’intervention sollicitée par les Etats requérants. Or, le contexte du conflit non-international vient considérablement limiter cette possibilité. En effet, l’agression armée doit être caractérisée, mais comment procéder à une telle démarche lorsque l’origine même du conflit est interne ? « Le jus contra bellum, dans le cadre duquel doit être replacé l’article 51 de la Charte, suppose [pour que l’acte d’agression soit constitué] que l’on soit dans l’hypothèse de l’attaque d’un Etat contre un autre Etat. »[2] : en somme l’agression permettant d’activer la légitime défense ne peut avoir pour origine un groupe armé non-étatique[3].
La présence de ces groupes non étatiques et terroristes sur le territoire des Etats sollicitants est par ailleurs un élément opportun pour les Etats intervenants qui se sont targués d’agir dans le cadre de la lutte contre le terrorisme afin d’ajouter une garantie de « licéité » à leur intervention. Plus spécifiquement, la présence terroriste est avancée pour écarter les principes classiques du droit international normalement applicables en matière d’usage de la force militaire dans les conflits non internationaux, à savoir les principes de non-ingérence, de non-intervention et de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ; mais également afin voir les CANI requalifiés en conflits dit mixtes ou internationalisés, le but étant d’ôter la dimension purement nationale de l’insurrection. Les Etats requis en l’espèce ont donc eu tendance à assimiler l’opposition armée à un groupe terroriste. Le Conseil de Sécurité lui-même y procède dans sa résolution 2085[4] en associant l’opposition touareg représentée par le MNLA à l’organisation terroriste AQMI. Pourtant, le MNLA n’est-t-il pas un mouvement de sécession visant à l’indépendance du peuple touareg souhaitant se constituer en Etat indépendant ? Et dans ces conditions, l’opération Serval n’est-elle pas, en réalité, constitutive d’une entrave à l’exercice du droit des peuples à s’autodéterminer ? C’est en tout cas une des questions traitées dans le cadre de cette recherche[5].
Le sujet permet finalement de révéler le développement de nouvelles formes de conflictualité au premier plan desquelles figure celle de la law fair ou guerre juridique caractérisée par la multiplication et la confusion des fondements légaux justifiant l’intervention. Le droit est clairement utilisé à des fins stratégiques : il s’agit concrètement d’invoquer la violation d’une norme par un Etat moins pour obtenir réparation que pour limiter les droits qui lui sont normalement dus et ignorer le caractère souverain de ses actes, en l’occurrence, l’expression ou l’absence d’expression d’un consentement à une intervention étrangère.
Plus globalement, le cadre d’évolution et d’analyse de l’intervention sollicitée, à savoir le CANI a permis l’émergence d’une réflexion plus large encore sur un sujet connexe : celui de la reconnaissance des gouvernements. Dans les espèces analysées, il n’est pas douteux que la présomption d’effectivité du gouvernement établi demeure difficile à renverser dès lors que ce dernier bénéficie de la reconnaissance de ses pairs. Ne nous méprenons pas, il ne s’agit pas ici de la reconnaissance de l’institution qu’est l’Etat mais bien celle du gouvernement qui sollicite l’assistance militaire en question. Aussi, c’est la relation inter-individuelle entre le gouvernement reconnaissant et le gouvernement reconnu qui mérite une attention toute particulière : c’est précisément ce lien qui va déterminer la validité, vis-à-vis du premier, des actes produits par le second. C’est finalement une question essentielle puisque de l’existence ou de l’absence de reconnaissance entre deux gouvernements dépend la permanence de relations internationales. En effet, sans cet acte, ni relations diplomatiques et consulaires, ni exécution extraterritoriale des jugements prononcés par les juridictions nationales, ni possibilité de gestion des avoirs nationaux situés à l’étranger et tant d’autres incapacités causées par l’inexistence d’un lien de reconnaissance. C’est en somme un préalable nécessaire et crucial à la faculté dont dispose un gouvernement pour solliciter quelconque aide étrangère sur son territoire, et cela est d’autant plus vrai lorsque le gouvernement en question dispose d’une effectivité moindre puisque contesté. C’est donc tout naturellement que l’étude de l’intervention sollicitée dans le cadre de ce mémoire d’étude a conduit à l’émergence du sujet de thèse portant sur la reconnaissance de gouvernement en droit international.
Fanta Dembélé
[1] Qui est en fait sans importance dans la simple mesure où seule la légalité du gouvernement établi permet de rendre valide sa sollicitation. Les considérations de légitimité ne sont en pratique pas prises en compte afin de limiter la possibilité pour un Etat de requérir une aide militaire étrangère de prime abord. La seconde partie de cette présente recherche démontrera, néanmoins, que certaines doctrines ont été développées précisément en vue de prendre en compte cette perte de légitimité du gouvernement contesté afin de lui retirer toute capacité juridique internationale et ainsi limiter sa possibilité de solliciter une intervention.
[2] Corten (Olivier), « Chapitre VII, L’action en légitime défense », Le Droit Contre La Guerre, Chapitre VII, Edition A. Pedone, 2014, p.654 (extrait en ligne).
[3] Ce postulat est l’objet de vifs débats notamment autour de la question de la qualification d’une attaque perpétrée par un groupe terroriste depuis les évènements du 11 septembre 2001. Pour un approfondissement, voir not. Silvy (Vianney), Le recours à la légitime défense contre le terrorisme international, Editions Connaissances et Savoirs, 2013, pp. 126-127.
[4] Conseil de sécurité des Nations Unies, S/RES/2085 (2012), 20 décembre 2012.
[5] C’est ensuite à travers le comportement de l’Etat requérant qu’est étudiée l’intervention sollicitée principalement sous le prisme de deux théories identifiées comme ayant pour effet de limiter la capacité juridique internationale d’un Etat à exprimer un consentement valide afin d’obtenir une assistance étrangère. D’abord celle de l’unable and unwilling state. En vertu de cette dernière, les Etats de la coalition internationale étant intervenu contre le gouvernement syrien ont affirmé que ce dernier ne pouvait, ni ne voulait combattre l’organisation de l’Etat Islamique. A ce titre, parce que l’Etat syrien était donc – selon eux – défaillant, il avait démontré son incapacité à respecter son obligation de due diligence en vertu de laquelle il aurait dû empêcher que ne soient perpétrées depuis son territoire des attaques terroristes, à destination du territoire voisin. Ce postulat a entraîné un fait curieux et contestable juridiquement : celui de l’intervention armée des Etats de ladite coalition sur le territoire syrien sur le fondement de la sollicitation de l’Iraq. Où est la limite entre le consentement de l’un et l’intégrité territoriale de l’autre ? Ensuite celle de la responsabilité de protéger (R2P). Cette doctrine n’a pas, en pratique, encore bénéficié d’une application large dans le cadre de l’intervention par invitation. Elle préconise que l’Etat commettant ou laissant commettre sur son territoire des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre, un génocide ou un nettoyage ethnique perde la légitimité de protection de sa population. C’est alors le passage d’une souveraineté de contrôle à une souveraineté de responsabilité [5] de l’Etat qui permettrait d’imposer une sanction venant limiter substantiellement sa possibilité de solliciter une assistance militaire étrangère laissant par conséquent le bénéfice de l’intervention à la communauté internationale. Mais encore faut-il que cette perte de légitimité de protection soit constatée internationalement par un organe habilité et selon des critères préfixés.