16 Décembre – Les guerres à l’origine du droit international : l’exemple du droit international humanitaire et de la bataille de Solférino
Édouard Armand-Dumaresq, La signature de la Convention de Genève du 22 août 1864
(Genève, Hôtel de ville)
Le lecteur de ces quelques lignes n’est pas sans savoir que la Charte des Nations Unies innove sur de nombreux points en droit international : elle interdit définitivement le recours à la force (article 2(4)), elle consacre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (article 1(2)) et elle institue un Conseil de sécurité jouissant d’un fort pouvoir de coercition (Chapitre VII). En bref, l’Organisation des Nations Unies réussit là où la Société des Nations avait tenté de concilier sa construction avec le respect de la souveraineté des Etats.
Comme pour le Pacte de la Société, qui contenait déjà en lui-même de nombreuses révolutions juridiques, les innovations de la Charte se sont imposées à ses rédacteurs après une guerre ayant traumatisé le monde entier. En droit international, davantage qu’en droit interne, les projets de conventions font généralement suite à des événements historiques importants. Et si les traités constitutifs de ces deux organisations internationales en témoignent, intéressons-nous plutôt au développement du droit international humanitaire. Cette branche du droit a pour origine le témoignage de celui qui se qualifiait lui-même de simple touriste à la bataille de Solférino du 24 juin 1859, Henry Dunant (Un souvenir de Solferino, p. 76).
Alors que l’Empereur Napoléon III avait promis de libérer l’Italie de l’occupation autrichienne, Henry Dunant décrit en ces termes la bataille qui faisait rage : “Ici, c’est une lutte corps à corps, horrible, effroyable: Autrichiens et Alliés se foulent aux pieds, s’entretuent sur des cadavres sanglants, s’assomment à coups de crosse, se brisent le crâne, s’éventrent avec le sabre ou la baïonnette ; il n’y a plus de quartier, c’est une boucherie, un combat de bêtes féroces, furieuses et ivres de sang; les blessés même se défendent jusqu’à la dernière extrémité, celui qui n’a plus d’armes saisit à la gorge son adversaire qu’il déchire avec ses dents” (ibid, p. 21).
Éprouvé par ce passage tout droit sorti de la Divine Comédie de Dante, Henry Dunant décide d’assister les blessés. Et ce, peu importe leur nationalité. A cet égard, notre touriste insiste, lors de son passage à l’hôpital de Castiglione, sur la différence de traitement existante entre les blessés français et autrichiens : “Les Français rencontrent partout la sympathie, ils sont flattés, choyés, encouragés (…). Mais les Autrichiens n’ont point les mêmes privilèges. Dans les divers hôpitaux où ils sont parqués, j’insiste absolument pour les voir ou bien je pénètre presque par la force dans leurs chambrées [pour leur distribuer un peu de tabac]” (ibid pp. 87-88).
Après avoir dépeint ce bien triste tableau trop souvent représenté dans les esprits, Henry Dunant s’interroge : “n’y aurait-il pas moyen, pendant une époque de paix et de tranquillité, de constituer des sociétés de secours dont le but serait de faire donner des soins aux blessés, en temps de guerre, par des volontaires zélés, dévoués et bien qualifiés pour une pareille oeuvre ?” (ibid, pp. 108-109). C’est ainsi que la Croix Rouge fut créée à l’occasion de la Conférence internationale de Genève en février 1863, initiée par Henry Dunant.
Après le succès de ladite Conférence, des efforts sont mis en œuvre pour inciter les Etats à négocier ce qui sera le premier traité de droit international humanitaire : la Convention de Genève du 22 août 1864 pour l’amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne, dont l’on peut voir une représentation picturale plus haut. L’article 6 consacre ce que l’on percevait déjà de l’ouvrage d’Henry Dunant, c’est-à-dire le principe de non-distinction : “Les militaires blessés ou malades seront recueillis et soignés, à quelque nation qu’ils appartiennent”. La Convention assure aussi la neutralité du personnel hospitalier (article 1er), leur offrant une protection juridique bienvenue lors de l’exercice de leurs activités.
Ce court rappel historique d’un fait bien connu des juristes permet de rappeler l’emprise de la réalité sur la formation du droit international. Celui-ci ne se construit pas dans le vide, mais plutôt à partir des nécessités qui se font jour dans la pratique. Loin de l’idéalisme ou de la naïveté que l’on associe trop souvent aux efforts de développements du droit international, ce rappel impose un constat anthropologique : c’est probablement seulement dos au mur que l’être humain use de son ingéniosité pour survivre.
Jean-Baptiste Dudant